Tribune. A l’instar des États Unis, des déboulonnages de statues se sont produits en Europe. Ces actes ont déclenché un débat public sur le passé esclavagiste et colonialiste de la France et sur les personnages historiques qui en ont été les instigateurs. Contrairement à ce que laisse entendre, entre autres, le Mrap, ces personnages ont joué un rôle uniment exécrable. Il est temps que leurs effigies (statues, noms de rue…) ne figurent plus dans l’espace public.
Dans son allocution du 14 juin, le président Macron a déclaré « la République n’effacera aucune trace ni aucun nom de son Histoire. La République ne déboulonnera pas de statue. » Il réagissait aux propos tenus la veille par des militant.e.s proches du comité « vérité et justice pour Adama », en référence aux actes des tombeurs étasuniens de statues aux effigies des conquérants génocidaires du continent américain, Christophe Colomb en tête, et de trafiquants d’esclaves et négriers.
Ces actes en ont inspiré d’autres en Europe : 7 juin à Bristol, déboulonnage de la statue du marchand d’esclaves d’Edward Colston, 9 juin en Belgique, vandalisme d’un buste du roi Léopold II, 11 juin à Londres, c’est un maire d’arrondissement qui fait retirer le bronze du trafiquant d’esclaves Robert Milligan. En France, des actes de ce genre ne se sont pas produits, mais l’appel du Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN) à changer les nom des rues ou le déplacement de statues de personnages historiques controversés pourrait être suivi d’effet.
Des actes cathartiques
Sans avoir à se prononcer sur la légitimité de ces actes, il faut d’abord en interroger les sens. Ce sont des actes cathartiques qui ont le mérite d’avoir déclenché un débat public sur l’histoire esclavagiste et colonialiste de la France. Jusqu’ici cette histoire ne concernaient que les historiens et une poignée de militant.e.s anticolonialistes. Les colloques, les livres, les prises de parole, les initiatives mémorielles n’avaient qu’une portée limitée.
Cette fois, certes c’est choquant, mais nous voilà au pied du mur. La déclaration d’Emmanuel Macron prouve que l’affaire est prise très au sérieux. Il est vrai qu’interroger notre histoire est toujours très mal vu par les pouvoirs dominants, économiques, politiques, médiatiques et idéologiques, au surplus, lorsqu’il s’agit de l’esclavagisme et du colonialisme. Ces deux méfaits multiséculaires ont été perpétrés contre des peuples atrocement exploités et meurtris, au Maghreb, en Afrique, dans les territoires ultramarins.
A cette histoire sont attachés des personnages qui symbolisent des actions collectives terrifiantes qui ont fondé l’enrichissement et les ambitions dominatrices de la France. Ces personnages du passé sont toujours honorés par des monuments, des appellations de lieux publics, des noms de rue.
Ne plus honorer ces personnages symboles de l’esclavagisme et du colonialisme
Dans une déclaration daté du 17 juin, le Mrap considère que ces noms « à forte dimension symbolique » participent « de la construction de la mémoire collective ». Mais, c’est d’ histoire collective dont il faudrait parler, de même que d’un travail d’histoire et non, comme le préconise le Mrap, d’un « travail de mémoire ». Or précisément, les travaux historiques les plus pointus nous aident à réinterroger le rôle de personnages historiques comme Jean-Baptiste Colbert, Jules Ferry, dont il est beaucoup question ces temps-ci.
Contrairement à ce qu’affirme le Mrap, ils ne sont pas « porteurs de réalités politiques complexes, avec leur part de lumière et d’obscurité. ». Lorsque cette association estime « qu’ils peuvent avoir eu des actions positives, tout en partageant sur certains points les préjugés de leur époque », il s’agit là d’une approche singulièrement dichotomique de leur biographie. Ainsi de Jules Ferry (1832-1893) qui n’a pas été, d’un côté, le sectateur de la « mission civilisatrice » de la France, justifiant par là les conquêtes coloniales, et d’un autre côté, le promoteur d’une éducation universelle.
Les historiens ont bien montré qu’il y avait un continuum entre ces deux actions. Ainsi de Jean Baptise Colbert (1619-1683) qui institua l’infâme Code noir et mis fin aux tutelles nobiliaires. Contradictoires ces deux actions ? Bien au contraire, les deux assurèrent la richesse et l’hégémonie du pouvoir royal.
Ne plus les honorer, n’est pas les effacer de l’histoire
Faire disparaître ces personnages de l’espace public, serait-ce en effacer les traces ? C’est ce que semble craindre le Mrap, estimant que cela pousserait à la « destruction brutale et unilatérale des traces de l’histoire ». Bien au contraire, il s’agit de les retravailler historiquement, car ce ne sont pas de simples traces mais des marques profondes dont notre histoire est encore empreinte.
Ces personnages ne sont pas des vestiges du passé. Leurs actes pèsent encore lourdement sur notre histoire présente. Il s’agit de reconsidérer le rôle qu’ils ont joué et de le restituer dans le temps long.
Les actions spectaculaires auxquelles nous assistons aujourd’hui, montrent éloquemment que nous héritons d’une occultation de pans entiers de notre histoire.